8 septembre 2010

North Coast

J'ai longtemps rêvé aux plages de Campana Island, aux montagnes de la région du Spirit Bear et aux paysages de Kitkatla Inlet, des lieux rarement fréquentés où la nature sauvage a gardé ses droits. Ma destination finale, Prince Rupert, se trouve à environ 350 km au nord et j'ai amplement le temps de visiter les magnifiques îles du Outside Passage à un rythme confortable.


En cette chaude journée du début juillet, je quitte Klemtu en direction du Meyer Channel espérant que les merveilleux paysages de la North Coast soient le décor d'une aventure aussi extraordinaire que celle que j'ai vécue dans les eaux de la Central Coast. Il y a un petit tombolo sur la rive est du Meyer Channel où j'arrête et admire les couleurs du ciel de la soirée.


Le lendemain, je franchis le passage étroit menant au Laredo Sound et arrive à Wilby Point avec un sébaste dans mon filet. La vue sur les montagnes des îles Princess Royal et Arizatabal est féérique.


À l'heure du lunch, un groupe d'orques s'approche de la rive pour s'amuser à quelques mètres de mon campement.



L'imposante île Princess Royal qui délimite le Laredo Sound au nord est connue pour ses hauts sommets, ses nombreux lacs et les ours keremode qu'elle abrite, mais d'autres trésors s'y cachent.

C'est à la recherche d'un de ces trésors cachés que je quitte Wilby Point. À l'aube, les eaux du Laredo Sound sont paisibles et reflètent le ciel et ses nuages. En moins de quinze minutes, les conditions changent drastiquement. Les vents du nord-ouest se lèvent, atteignent une quinzaine de noeuds et font friser les vagues en écume. Vers l'heure du midi, j'aperçois une pointe en forme de trident formant quatre jolies baies. Je m'y dirige et descends de mon kayak pour explorer les lieux. Au centre de l'isthme, je découvre les ruines d'une maison longue. Je suis sur les lieux d'un ancien village Kitasoo. Sous des amas de mousse, on distingue les poutres et le travail d'excavation qu'on y a fait.

J'ai le sentiment de ne pas être seul en cet endroit mystérieux et n'ose pas établir mon campement sur les plages de ce lieu historique. Je continue donc à pagayer vers le nord-ouest en direction de Baker Point et fais face aux vents en longeant lentement la côte ouest de l'île Princess Royal. En fin d'après-midi, j'entreprends la traversée vers l'ouest en direction des îles Louis. Les courants de la marée descendante me poussent vers les îles Ramsbotham au sud et je dois lutter contre vents et marées pour maintenir le cap. La carte marine ne donne aucune indication sur la force des courants à cet endroit et je tente de m'en échapper en empruntant un petit passage plus à l'ouest qui me semble calme. Ce n'est pas le cas, les courants y sont bien présents et il me faut rassembler toutes mes énergies pour atteindre les berges de l'île Arizatabal. À quelques kilomètres au sud de Baker Point, je sens la douleur envahir mon épaule gauche. Je suis épuisé, j'ai faim. Il est presque 21 heures lorsque j'arrive sur la plage de cailloux où je passerai la nuit. J'allume rapidement un feu, réchauffe les sacs de mets indiens pré-cuisinés que j'avale sans enlever mon dry suit. Je regarde le soleil disparaître en espérant que mon épaule soit en meilleur état le lendemain.

Le jour se lève sous la pluie. On ne voit plus les montagnes de l'île Princess Royal et mon positivisme s'est effacé au profit d'une réalité plus maussade. Mon épaule n'est pas rétablie et mes réserves d'eau potable sont basses. Je récupère les eaux de pluie, me cuisine un bon repas et me réfugie dans le confort de mon sac de couchage en lisant quelques nouvelles du recueil River's End qu'un ami m'a donné. Le soleil réapparaît un peu plus tard et j'en profite pour visiter la plage et ses environs.

Le lendemain, mon épaule est en meilleure condition et je quitte les lieux en direction de Sager Island. Je repère un ruisseau non loin de Surf Inlet, j'y remplis mes gourdes et arrive à destination sans ennui. Je ne suis qu'à quelques kilomètres de la fameuse île Campana que je vois au loin.

Le jour suivant, j'entreprends la traversée du Caamano Sound et j'évite les forts courants de la marée descendante, mais le vent se met vite de la partie. Le devant de mon kayak est anormalement bas et le doute s'empare de moi. Y aurait-il une fissure à l'avant? Sachant qu'il est impossible de faire quoi que ce soit au milieu de la traversée, j'oriente mes pensées ailleurs et franchis les vagues triangulaires qui virevoltent non loin de la pointe sud de la magnifique île. Les eaux deviennent moins agitées à l'ouest de la pointe et je trouve un endroit à l'abri pour me reposer un peu. Devant moi, de nombreux petits rochers séparent des passages étroits et peu profonds, comme un labyrinthe sculpté par les vagues des grandes tempêtes hivernales. Au loin, je distingue plusieurs petites embarcations derrière de nombreux goélands qui se nourrissent de petits poissons. Une vingtaine de minutes plus tard, j'arrive près du premier petit bateau. Je salue les trois pêcheurs qui engagent la conversation. L'un d'eux me demande si j'ai faim... Hummm, certainement! Le guide met dans un grand sac zip lock quelques sandwiches, des biscuits et une orange qu'il me lance à l'eau. Je récupère le tout, les remercie de leur générosité et dévore sur le champ le contenu du sac avant de poursuivre ma route... jusqu'à un autre bateau un peu plus au nord où j'hérite de chips aux jalapeno et de quelques carrés aux rice crispies. Je croise un troisième groupe qui me lègue un autre sandwich, plusieurs biscuits et une brioche. Quelle chance! À ma gauche, la brume dévoile deux superbes plages. Le temps est gris, mais l'endroit est idyllique et j'oublie mes soucis en admirant ce petit paradis perdu au milieu des îles du Outside Passage.

C'est probablement le plus bel endroit que j'ai visité jusqu'ici cet été. Des empreintes sont incrustées dans le sable de la marée basse. Je ne suis pas seul ici, un loup fréquente les environs. Sur photo, l'animal ne semble pas très gros, mais la taille de ses traces me laisse perplexe.

Le soir venu, je dispose quelques bâtons autour de mon campement pour bien marquer mon territoire et garde quelques chandelles allumées pour la nuit.


Derrière la plage et ses eaux turquoise, le mont Pender domine les environs. Après mon petit déjeuner, je me lance à sa conquête en suivant un petit ruisseau au milieu d'une forêt dense. La vue du sommet est à couper le souffle: au nord, d'autres sommets rocheux, l'île Pitt et le Nepean Sound, à l'est, l'île Gill, le Squally Channel et les montagnes encore enneigées du continent, au sud, quelques les lacs, les îles Arizatabal et Pricess Royal séparées par le Laredo Channel et vers l'ouest, la plage où je me suis établi, Estevant Sound, Trutch Island, le grand Hecate Strait et Haida Gwaii qu'on peut distinguer à l'horizon.







Les énormes mouches à chevreuil qui tournent autour de moi sont si nombreuses qu'il m'est impossible de profiter pleinement du moment. Je me fais dévorer par les mouches et il n'est pas question de rester ici une minute de plus. Je dévale donc la montagne à vive allure dans l'épais nuage d'insectes voraces qui se nourrissent de mon sang et je me lance dans la mer dès mon arrivée sur la plage pour me libérer de ces bêtes qui me rendent fou.

Il n'y a pas que les mouches qui se comptent par milliers ici, il y a aussi les poissons. Malgré le moulinet de ma canne à pêche qui s'est brisé quelques semaines plus tôt, j'arrive à attraper des sébastes qui se dandinent près des rochers à une centaine de mètres de mon campement.

De sympathiques plaisanciers de Cowichan Bay sont venus me visiter hier et m'ont laissé du riz et des fruits séchés. J'ai aussi rencontré Rick ce matin, un américain qui voyage à bord d'un petit voilier. Il m'a repéré près du ruisseau où j'ai rempli mes gourdes d'eau et nous avons passé la soirée ensemble autour du feu à jaser un peu.

Déjà sept jours se sont écoulés depuis mon arrivée sur cette plage enchantée et mes provisions baissent à vue d'oeil. Comme c'est le cas depuis plusieurs jours, on annonce des vents du nord-ouest de 15 à 25 noeuds demain. Une autre journée ensoleillée m'attend.

Je quitte à regret cet endroit fantastique aux petites heures du matin en direction de Pitt Island. Les vents du nord-ouest se lèvent vers 9 heures et ralentissent ma progression vers Monkton Inlet. La plage ne paie pas de mine, mais le site un peu plus haut dans la forêt est le seul endroit des environs qui ne soit pas escarpé.

À mon grand étonnement, il m'est impossible de recevoir les prévisions météo autour de mon campement. Je me déplace quelques centaines de mètres sur les rochers de la rive, incline ma radio VHF dans tous les sens et après plusieurs essais, j'arrive finalement à entendre la voix entrecoupée du lecteur des bulletins météo derrière un grésillement intense. Je décode les prévisions pour le lendemain: des vents du nord-ouest de 20 à 30 noeuds.

Je suis dans mon kayak à l'aube en direction des îles Ralston faisant face au vent et aux vagues venant du nord-ouest. La journée ne sera pas de tout repos. J'arrive à Lundy Cove en début d'après-midi et trouve enfin un endroit entre deux rochers pour me reposer. Pas moyen de mettre pied à terre ici, mais je peux avaler ma power bar et quelques fruits séchés sans me faire pousser vers le sud. Au loin, je vois les îles Ralston. Les vents s'intensifient et je mets cinq heures à pagayer sans relâche pour les rejoindre. J'y arrive complètement épuisé, me prépare un bon repas et m'endort pour la nuit.

Le lendemain, je vais refaire mes réserves en eau, attrape deux sébastes et rassemble les calories non-consommées dont je dispose encore. Je pensais avoir des provisions beaucoup plus substantielles, mais bon, j'en ai suffisamment pour me rendre à Prince Rupert environ 100 km au nord-est. Il est par contre hors de question de continuer vers Bank Island et de faire le détour par les îles Stephens et Phillip. Les festins qui ont fait mon bonheur sur Campana Island m'empêchent maintenant de poursuivre mon aventure vers nord-ouest.

Il n'y a pas de réception radio ici non plus. Je fais plusieurs promenades aux alentours avec ma radio VHF cherchant l'angle approprié à l'endroit magique, mais je ne le trouve pas...


Vers 3 heures du matin, je constate que les vents soufflent maintenant du sud et je compte bien en profiter pour progresser vers le nord. Je range donc tente, toile et sac de couchage avec empressement et mets mon kayak à l'eau au lever du soleil. Les vents d'une dizaine de noeuds me poussent jusqu'à la pointe nord de l'île Anger et je mets ensuite le cap vers Petrel Channel et ses flancs escarpés. La pluie se met de la partie, le vent du sud s'intensifie et les vagues qu'il crée se brisent fréquemment sur l'arrière de mon kayak me déstabilisant au passage. J'avance rapidement vers l'embouchure du canal, mais les conditions sont de plus en plus difficiles et je dois donner de nombreux coups de pagaie pour stabiliser le kayak qui se fait sans cesse chahuter par les vagues.

Vers 9 heures, j'arrive enfin au virage que prend le canal vers l'ouest. Les conditions sont plus calmes et le courant me pousse tranquillement vers Elbow Point. J'allume ma radio et réussis finalement à obtenir le bulletin météo de 4 heures am qui prévoit des vents du sud de 25 à 35 noeuds qui laissent place à des vents de 20 à 30 noeuds venant de l'ouest en fin d'avant-midi. Je sens ce vent de l'ouest se développer et j'accélère le rythme pour arriver à Elbow Point où le canal continue vers le nord.

Pensant être maintenant à l'abri des vents de l'ouest qui s'intensifient, je poursuis mon trajet en direction nord. Quelques minutes plus tard, je constate que les rafales venant du sud reprennent de plus belle. Les vagues se développent et le manège recommence. J'ai l'impression d'être coincé dans un wagon filant à vive allure sur les rails d'une vieille montagne russe aux structures douteuses. Je suis exténué, mais les berges sont rocheuses et il serait dangereux de tenter de rejoindre la rive. Je trouve finalement un endroit plus calme entre deux falaises pour engloutir une power bar et reprendre mon souffle. J'attends une quinzaine de minutes assis dans mon kayak en espérant que les vents diminuent un peu. Rien à faire, je commence à avoir froid et les vents ne diminuent pas.

Je n'ai pas vraiment de choix, il me faut continuer vers le nord. Rebrousser chemin jusqu'au semblant de plage que j'ai vu à Elbow Point n'est pas possible étant donné la force des vents. Je poursuis donc vers le nord et suis fouetté par de puissantes bourrasques qui viennent accentuer les conditions déjà précaires. L'une d'elle réussit presque à m'arracher la pagaie des mains.

Le moment que j'attendais avec impatience est arrivé: le Ogden Channel est enfin visible et j'aperçois les îles de Kitkatla inlet au loin. J'ai tout juste le temps d'identifier Gilbert Island avant que la pluie ne s'abatte sur le bras de mer. Au croisement des canaux Ogden et Petrel, la mer est déchaînée: les vagues sont menaçantes et la visibilité est presque nulle. La houle du Hecate Stait plus à l'ouest se met de la partie et entre en collision avec les vagues du Petrel Channel créant d'immenses pyramides d'eau qui virevoltent et me frappent violemment. Je lutte avec l'énergie du désespoir pour ne pas me laisser renverser par ces monstres frôlant les deux mètres. Je suis complètement exténué lorsque je mets le pied sur Gilbert Island. J'ai froid, je suis affamé.

La pluie cesse, le temps s'éclaircit et les vents se calment enfin. Je prépare un riz aux tomates séchées que je mélange au thon qu'il me reste et je reprends mes esprits. L'endroit devient plus paisible et de jolies petites îles apparaissent devant moi.
Je repense aux événements de la journée en regrettant de ne pas avoir pris le temps de noter les prévisions à long terme quelques jours plus tôt à Monkton Inlet alors qu'il m'était encore possible de décrypter le bulletin météo. J'aurais aussi pu faire un arrêt à Elbow Point même si le site ne me plaisait pas, mais bon, rien ne sert de tergiverser trop longtemps. J'ai eu ma leçon et j'ai appris de mes erreurs. J'écoute attentivement les prévisions pour le lendemain: 5 à 15 noeuds du nord-ouest. C'est le calme après la tempête, mais les prévisions à long terme ne sont pas aussi bonnes: de 20 à 35 noeuds du nord-ouest.

Je donne mes premiers coups de pagaie en direction de McMicking Island flottant sur le reflet des nuages et des arbres ornant les îles du Kitkatla Inlet. Au sud, je regarde l'entrée du Petrel Channel: c'est le calme plat. Rien à voir avec ce que j'ai vécu il y a à peine quelques heures. Un ours fait sa promenade matinale sur une plage de Pitt Island en cherchant calmement son petit déjeuner. Les montagnes de l'île Porcher percent les nuages sans faire de bruit et j'aperçois au loin le traversier de BC ferries qui file vers l'entrée du Grenville Channel, le signe d'un retour vers la civilisation.

Peu après mon arrivée sur l'île McMicking, un bateau met l'ancre dans la baie devant mon campement. L'homme me semble sympathique et m'invite à venir partager le repas du soir sur son bateau avec ses trois adolescents. J'accepte l'invitation sans hésiter et les rejoins en salivant. Keith m'accueille avec un rum&coke et me fait visiter son bateau. Le festin de crabe et de flétan qui s'ensuit est un délice mémorable. Je retourne à mon campement aux petites heures de la nuit en pensant aux étoiles qui font ma chance.

Le dernier droit vers Prince Rupert est parsemé des paysages montagneux à l'embouchure de la rivière Skeena, de la jolie Kitson Island et du long banc de sable qui s'y étend au nord. Les bateaux de pêche et les immenses navires en provenance de l'Asie sont nombreux. J'arrive à Prince Rupert avec le sentiment d'avoir eu la chance de vivre une expérience unique, une aventure authentique m'ayant beaucoup apporté, une succession de moments précieux, un souvenir gravé en moi à tout jamais.
J'espère que vous apprécierez les images de ce merveilleux voyage sur les côtes du Pacifique.


1 commentaire:

bongobill a dit...

incroyable histoire mon ami!