5 septembre 2010

Central Coast

Enfin, me voilà arrivé à Port Hardy! Dans quelques heures le grand voyage que je planifie depuis plusieurs mois deviendra réalité. Si tout se déroule comme prévu, il me faudra une quinzaine de jours pour arriver au village de Klemtu où j'ai expédié une boîte contenant des vivres pour la seconde partie de mon aventure.

La nuit est calme et mes pensées oscillent entre mon appréhension face à l'inconnu et les nombreuses images que je me suis faites des lieux que je visiterai. L'anxieux mélange m'empêche de fermer l'oeil malgré le calme de la nuit et je termine le chargement de mon kayak aux premières lueurs du jour. En enfilant mon dry suit, j'aperçois un 'local' en bottes de caoutchouc qui s'approche d'un pas décontracté. Je réponds à ses interrogations en lui révélant ma destination. Son étonnement est sans équivoque. Il me lance quelques mots trahissant l'expérience d'une solitude en mer déjà vécue: 'Birds don`t talk hey'. Je souris en pensant à cette solitude dont j'ai toujours eu besoin, celle qui me permettra de me retrouver, celle qui changera l'angle de mon regard et qui calmera mon âme.

Songeur, je m'installe dans mon kayak et quitte Hardy Bay. L'expédition dont j'ai tant rêvé se conjugue maintenant au présent. La mer est calme, et je profite d'un premier après-midi ensoleillé sur la jolie plage de coquillages de Bell Island. En début de soirée, je m'engouffre dans mon sac de couchage en écoutant les prévisions météo. Je tenterai d'atteindre les côtes du continent demain.

Mon périple vers Shelter Bay commence dans le calme au petit matin par la traversée du Gordon Channel.
Quelques minutes après avoir quitté les eaux des îles du Deserters Group, le brouillard envahit l'horizon et les îles du Millard Group disparaissent devant mes yeux. Au sud, Staples Island n'est plus visible. Vers le nord, c'est le néant, il n'y a rien à l'ouest, rien à l'est non plus... Je suis seul dans cette mer nébuleuse à apprivoiser une solitude qui en ferait frissonner plus d'un. Je garde un oeil attentif sur le GPS pour m'assurer de maintenir le cap vers les îles Wallace malgré le vent qui me fait dériver vers l'est. Toujours rien à l'horizon, le temps file et les heures passent. En début d'après-midi, le brouillard se lève peu à peu et dévoile enfin la paisible Shelter Bay. Entre un îlot d'îles, une magnifique plage de sable m'attend. Il n'y a personne ici non plus. Aux abords de la forêt on a placé un panneau avertissant les visiteurs de la présence de couguars dans les environs. En retournant à mon kayak, un bruit attire mon attention. C'est un ours noir. Il semble me regarder et se dirige tranquillement vers moi. Je me lance rapidement à la recherche des 'bear bagners' et du poivre de Cayenne en essayant de ramasser mon appareil photo au passage. Mon empressement effraie l'animal qui rebrousse chemin et s'esquive avec hâte dans les bois. Que d'aventures!

Je quitte Shelter Bay le lendemain matin, longe la côte ouest de Bramham Island dansant ici et là sur les vagues réfractées par ses rives rocheuses et j'atteins la grandiose Burnett Bay sur l'heure du midi. Les vagues déferlent sur l'immense plage dorée de sable et s'éteignent en crépitant. Vers le nord, il y a un endroit à découvert entre les billots gris qui couronnent la plage. J'y installe mon campement en contemplant la vue sur l'île de Vancouver.


C'est la Saint-Jean Baptiste aujourd'hui, la houle n'est que d'un mètre et les vents sont calmes. Je démonte tente, hamac et toile en préparant mon petit déjeuner. Les conditions météo sont excellentes, mais il ne faut rien prendre à la légère. Quelques kilomètres plus au nord, comme un Sphinx gardant la porte des merveilleux espaces sauvages de la côte, le légendaire Cape Caution brave les tempêtes venues de l'ouest et la fureur des vents du Queen Charlotte Sound. Les eaux peu profondes de la pointe ont la réputation d'être très agitées. Peu avant mon départ, une mauvaise surprise m'attend: il y a une crevaison sur une des roues du petit chariot que j'utilise pour transporter mon kayak. Je rassemble donc mes frustrations et traîne avec acharnement mon kayak sur la centaine de mètres qui me sépare de l'océan. Le vent léger rafraîchit peu à peu mes pensées et le calme de Sylvester Bay laisse rapidement place au soubresaut des vagues réfléchies par les rochers du célèbre cap. Un voilier passe un peu plus à l'ouest et me prend en photo naviguant dans ces eaux tumultueuses. Une heure plus tard, je trouve enfin un endroit plus calme et prends quelques minutes pour me reposer un peu. Voilà, j'ai contourné la pointe mythique sans problème. Je poursuis mon trajet vers le nord et croise une baleine à bosse qui fait de courtes apparitions à l'entrée du Smith Sound. En début de soirée, je contourne finalement Kelp Head et installe mon campement sur une splendide plage de sable au sud-est de Cranstown Point.

Le lendemain un voilier bleu et blanc jette l'ancre à quelques mètres de la plage. Les trois occupants du Welch Dragon arrivent un peu plus tard à bord de leur petit bateau pneumatique et je décide d'aller à leur rencontre pour bavarder un peu. Leur plan est de se frayer un chemin dans les bois et de rejoindre le côté ouest de la péninsule. Ils s'engouffrent donc dans les épais buissons et reviennent trois heures plus tard par la rive en escaladant ses grands rochers. Ils sont exténués, mais toujours bien sympathiques. Je leur offre des rondelles de chocolat aux noix et aux canneberges, une dose d'énergie qu'ils dégustent en me racontant leur aventure. Pas toujours facile le 'bushwhaking'! Wendy et Dai m'invitent généreusement à monter à bord pour une courte escapade au restaurant de Duncanby Landing. J'accepte volontiers leur proposition et profite de la visite exceptionnelle de Rivers Inlet qui m'est offerte.

Le parc marin de Penrose Island fut créé en 1982 pour protéger un archipel de très jolies îles où les charmantes plages de coquillages se comptent par dizaines. En m'y rendant, j'entends le souffle de cinq ou six baleines à l'embouchure de Rivers Inlet. Il y a aussi un groupe de loutres qui s'amusent autour de Fury Island où je passe la nuit.

Une longue journée m'attend, je prévois me rendre au lointain Choked Passage au nord-ouest de Calvert Island. Peu après mon départ, j'ai la chance d'assister à un spectacle peu commun: une baleine à bosse s'élance de toute ses forces vers le ciel pour une courte séance d'auto flagellation et répète son numéro de haute-voltige à plusieurs reprises. Chaque saut est plus incroyable que le précédent. La prestation est grandiose, un souvenir inoubliable.

Dès mon arrivée sur la plage de North Beach, je suis séduit par la beauté des lieux. La superbe vue sur le passage Hakai parsemé de rochers à fleur d'eau et l'agréable sentier menant à la magnifique West Beach font de ce lieu un endroit exceptionnel. J'y passe trois jours attendant que les conditions permettent la traversée du Hakai Passage où les courants atteignent quatre noeuds.

En ce dernier jour de juin le soleil brille et je me rends à Triquet Island où je rencontre deux groupes de kayakistes amateurs de photographie. J'installe ma toile, vais nager un peu et savoure mon copieux repas de pâtes agrémentées d'une sauce aux champignons, de tomates séchées et de parmesan. La pluie surprend les trois américains qui viennent terminer leur repas sous ma toile et discuter un peu.

Plus qu'un arrêt avant d'atteindre Bella Bella. Je parcours les splendides environs de Spider Anchorage, contourne Superstition Point et arrive à l'embouchure du Hunter Channel. J'installe ma tente sur un isthme à l'est de l'île Dodwell et allume un feu pour me réchauffer. Au loin, des pêcheurs m'ont repéré. Ils me saluent et me rejoignent sur la plage quelques minutes plus tard. Les trois hommes sont de la nation Heiltsuk et habitent Bella Bella. Autour du feu, nous partageons nos histoires de pêche, discutons des joies du plein air, des coutumes Heiltsuk et de la transition vers le 'fast world'. Je leur offre mes fameuses rondelles au chocolat qu'ils savourent avec empressement. Enchantés de notre rencontre, ils tiennent à me laisser un filet de sébaste, des joues de flétan, une lampe de poche et des attaches de plastique. Je suis un peu mal à l'aise devant cette générosité, mais elle est authentique et sincère. J'accepte donc leurs cadeaux et fais frire le le poisson avec de l'ail et du vin blanc. Un délice mémorable!

Les vents du sud soufflent de cinq à dix noeuds et le courant de Hunter Channel me pousse tranquillement vers Bella Bella. Je visite rapidement le village, fais quelques provisions à l'épicerie près du quai et me rends ensuite sur la pointe nord de Rainbow Island, un magnifique site où je m'installe pour quelques jours.

Les bains d'eau glacée sont devenus une habitude, mais le souvenir de la sensation qu'une douche d'eau chaude procure ravive en moi le désir de visiter Shearwater! J'y arrive le lendemain en avant-midi confiant de pouvoir enfin revivre ce moment de plaisir intense et de laver quelques vêtements à la buanderie. Un peu plus tard près du quai, la course annuelle de dinghy prend place pour le plaisir de tous.

Dallas Island n'est qu'à quelques heures de Klemtu et j'y arrive après avoir parcouru la cinquantaine de kilomètres qui la sépare de Rainbow Island. À mon grand étonnement, mon ami Don s'y trouve. Il guide un groupe de kayakistes qui descend la côte jusqu'à Bella Bella. Quelle heureuse coïncidence de se retrouver sur cette île à l'embouchure du Finlayson Channel et de retrouver un bon ami que l'on a pas vu depuis longtemps!

Par un torride après-midi du début juillet, j'arrive enfin à Klemtu, un petit village où les nations Kitasoo et Xai'xais se sont établies pour faciliter le commerce avec les bateaux à vapeurs qui transitaient autrefois par les eaux du Inside Passage. Une maison longue récemment construite domine la pointe à l'est du village et je profite de l'arrivée d'un groupe de touristes pour me joindre à une visite guidée des lieux.


Voilà, mon périple sur la Central Coast n'est plus qu'un souvenir, ma boîte de provisions m'attend au bureau de poste et je charge mon kayak du million de calories qu'il me faudra pour continuer mon expédition dans les eaux de la North Coast. Les photos que j'ai sélectionnées sont ici.

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